De 1959 à 1964, le Journal du père Lebret (directeur de la mission IRFED) au Liban et au Moyen-Orient est un témoignage exceptionnel enfin publié sur la tentative d’édification d’un État libanais moderne sous la présidence du général Fouad Chéhab.
« Les journaux annoncent la démission prochaine du ministère. En fait, c’est fait. J’ai donné ma conférence "Le Liban au tournant" dans l’auditorium — la salle de cinéma — du Phœnicia, 500 à 600 personnes avec une centaine debout. Je n’avais pas beaucoup de voix, malgré l’absorption des comprimés de chlorure de potasse. Vive les hauts-parleurs, car j’ai quand même pu me faire entendre, par un auditoire tendu qui ne toussait pas. Au fond, c’était mes adieux au Liban et j’avais eu le trac toute la journée, craignant d’échouer. Il fallait faire comprendre avec beaucoup de nuances, tout ce que comportait la révolution Chéhab, révolution en profondeur et en douceur, sans toucher à la politique tout en ne faisant que cela. Mon plan était de caractériser la politique chéhabiste : consolider une nation, créer un État, réaliser le grand Liban mondial sans visées impérialistes, mais il fallait aussi en montrer les exigences économiques, sociologiques et éthiques. Bref, un peu sur la corde raide en disant tout l’essentiel sans "mettre en boule". C’est fait et la portée sera peut-être plus grande que celle des conférences de 1960 et 1962, magie du verbe, si importante en Orient, avec les politesses de la civilisation méditerranéenne et les rigueurs d’une critique nécessaire. Assez dit pour faire comprendre et pas assez choquer en profondeur. Tout ça dans un état grippal qui continue, mais Dieu aide ». (Journal du 20 janvier 1964)
Né en 1970, Stéphane Malsagne est agrégé d’Histoire-Géographie et docteur en Histoire (Université de Paris I). Il a consacré ses recherches depuis plusieurs années à l’Histoire du Liban, de l’indépendance à la guerre civile. Il est l’auteur d'une biographie de l’ancien président libanais Fouad Chéhab (1902-1973). Après avoir enseigné quelques années l’Histoire du Moyen-Orient contemporain à l’Inalco et aux Universités de Paris I et Paris IV, il poursuit actuellement ses travaux sur l’Histoire de l’armée et des élites libanaises.