Auteur : DÉDÉYAN Gérard, DEMIRDJIAN Ago, SALEH Nabil
Parmi les Justes et gens de bien qui prirent des risques majeurs pour sauver les Arméniens pendant le génocide de 1915, il y eut aussi bien des Occidentaux chrétiens ou juifs, que des Orientaux musulmans de diverses confessions.
Malgré l’absence d’ordre de son ministère de tutelle le vice-amiral Louis Dartige du Fournet osa prendre les mesures nécessaires pour recueillir les Arméniens qui, retranchés dans la « Montagne de Moïse », avaient résisté pendant plus de quarante jours à une armée turque.
Sauvetage des combattants arméniens du Musa Dagh. Témoignage du Pasteur Andreassian (2 sept. 1915) :
C’était le Guichen, vaisseau français. Pendant qu’on abaissait une chaloupe, plusieurs de nos jeunes s’étaient élancés vers la mer, et bientôt ils nageaient dans la direction du beau navire qui semblait nous venir de Dieu. Avec des cœurs qui battaient fort, nous descendîmes sur la plage et le capitaine nous invita à lui envoyer une délégation pour rendre compte de notre situation. Il lança un télégramme sans fil à l’amiral et, peu après, le vaisseau Jeanne d’Arc apparaissait à l’horizon, suivi par d’autres navires de guerre français. L’amiral nous dit des paroles d’encouragement et ordonna que chaque membre de notre communauté fût accueilli à bord des vaisseaux.
Raymond H. Kévorkian, Yves Ternon, Mémorial du génocide des Arméniens, p. 447-448.
La région montagneuse du Dersim, à l’est de l’Anatolie, était peuplée de Kurdes, en grande partie de confession alévie – marquée par le mysticisme et le respect de la personne humaine – qui ne participèrent pas au génocide des Arméniens, mais au contraire protégèrent ceux-ci, mettant en péril leur propre sécurité, voire leur vie. La politique de turquification mise en œuvre par Mustafa Kemal entraîna une révolte massive des Kurdes du Dersim (1936-1938), qui se termina par une répression qui fit des milliers de morts.
Sauvetage d’Arméniens par des Kurdes du Dersim (un chef de village rassure une déportée sur le sort de sa sœur) :
-Vallahi, billahi [Jurer Dieu], elle est en sécurité et son honneur autant. J’ai emmené en même temps que les Simonian une centaine de familles dans le seul but de les sauver. Lorsque j’ai vu ta sœur, ta belle-sœur, Mme Azniv, des dames si bien élevées, si raffinées, je les ai prises en pitié. Je savais qu’elles étaient condamnées à périr dans des conditions horribles. Dès lors, j’ai formé le projet de les sauver, mais je n’arrivais pas à les convaincre de la pureté de mes intentions. Elles refusaient obstinément de me suivre. Elles ne cessaient de crier : « Nous mourrons s’il le faut ; mais nous n’irons pas avec vous ». Alors, je leur ai envoyé mes Kurdes armés et une charrette pour les emmener de force. Maintenant elles ne savent comment me témoigner leur reconnaissance. Elles voient en moi leur sauveur.
Raymond H. Kévorkian, Yves Ternon, Mémorial du génocide des Arméniens, p. 450.
Auteur : Collectif, AUGÉ Isabelle, BARKHOUDARYAN Vladimir, DÉDÉYAN Gérard, DOKHTOURICHVILI Mzaro / Mzagve, KARAULASHVILI Irma
Vieilles nations et jeunes États, indépendants depuis 1991, à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique, l’Arménie et la Géorgie sont marquées par leur précoce conversion au christianisme, au début du ive siècle, et l’utilisation, au début du ve siècle, par chacun de ces peuples, d’un alphabet spécifique, permettant la traduction de la Bible et favorisant la naissance d’une littérature nationale – historique et hagiographique. Il s’ensuit, pour les Arméniens et les Géorgiens, une lutte multiséculaire pour la défense d’une identité chrétienne périodiquement menacée, en raison d’une périlleuse situation géopolitique au carrefour des Empires. Arc-boutées sur leurs montagnes du Caucase du Sud, ces deux chrétientés de frontière, aux références doctrinales différenciées, doivent successivement faire face, à l’ouest à l’Empire byzantin, en partie supplanté, à partir du xie siècle, par l’Empire turc seldjoukide, puis ottoman (à la fin duquel est perpétré le génocide des Arméniens), au sud-est au royaume de Perse, mazdéen, puis, chiite, avec la longue parenthèse – du viie au xviie siècle – de divers empires sunnites, les Arméniens étant placés en première ligne. Au nord, la progression des Russes dans le Caucase, à partir du xviiie siècle, est perçue plus positivement par les Arméniens – dont le royaume reconstitué en Cilicie (1073-1375), au voisinage des États croisés, n’a été relayé, après sa chute (1375), que par quelques principautés autonomes – que par les Géorgiens, qui ont pu maintenir leur indépendance jusqu’au début du xixe siècle.
Les contacts politiques et culturels avec l’Europe occidentale, pour les Arméniens, mais pour les Géorgiens également, ont contribué à façonner l’identité des uns et des autres, comme l’attestent les missions emblématiques de deux princes devenus moines : l’Arménien Het‘um/ Hayton auprès du pape Clément vii à Poitiers, au début du xive siècle ; le Géorgien Sulxan-Saba Orbeliani auprès du pape Clément XI et de Louis XIV, au début du xviiie siècle. La Russie orthodoxe, qui apparaît, au tournant du xviiie siècle, comme le seul Empire en mesure de soutenir les chrétiens du Caucase, accueille à son tour plusieurs ambassades arméniennes et géorgiennes. L’Arménie et la Géorgie – ces deux pays « cousins » –, réapparus dans le paysage politique il y a un quart de siècle, doivent pouvoir assumer pleinement leur mission historique de pont entre l’Europe et l’Asie, à l’heure où ces continents se heurtent si violemment parfois. Ayant déjà publié plusieurs livres voués spécifiquement à l’Arménie, les Éditions Geuthner sont heureuses d’accueillir un ouvrage dû à la collaboration de spécialistes reconnus, et consacré conjointement à l’Arménie et à la Géorgie, pays dans lesquels se sont formées, depuis près de trois millénaires, des identités à la fois proches et différenciées.
Auteur : DÉDÉYAN Gérard, AUGÉ Isabelle, SCHOULER Bernard
Comme l’a écrit Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, René Grousset (1885-1952) apparaît comme « l’historien de tout l’Orient ».
Né à Aubais, dans le Gard, ayant obtenu son baccalauréat et sa licence à la Faculté des Lettres de Montpellier, décoré de la Légion d’honneur pendant la Première Guerre mondiale, il est conservateur en chef des musées Cernuschi (1933) et Guimet (1944), effectue des missions en Orient et enseigne à l’école des Langues orientales. Il est élu en 1946 à l’Académie française.
Mais, « ma biographie, c’est ma bibliographie », aime-t-il à répéter. De fait, entre 1914 et 1952, il écrit, le plus souvent seul, dans une approche d’historien et d’historien de l’Art, plus d’une vingtaine d’ouvrages, certains en plusieurs volumes, qui couvrent tout le continent asiatique et débordent sur l’Arménie et la Grèce. Consultant les meilleurs spécialistes des diverses disciplines qu’il brasse, il livre des synthèses lumineuses, souvent non remplacées à ce jour (Histoire de l’Extrкme-Orient,Sur les traces du Bouddha, Histoire des Croisades, L’Empire des steppes), rédigées avec une écriture inspirée. Son œuvre, qui a, en quelque sorte, rouvert la route de la soie et celle de la sagesse orientale à l’élite intellectuelle formée dans les années cinquante, est, depuis quelques années, progressivement rééditée. Elle est, plus que jamais, d’actualité, car c’est celle d’un authentique« Européen », conscient des valeurs qui ont façonné le vieux continent, mais également fasciné par la civilisation plusieurs fois millénaire de l’Asie, dont il sait discerner l’humanisme spécifique et, couronnement de celui-ci, une spiritualité à laquelle il est profondément sensible.
En une période où, plus que jamais, la paix mondiale semble menacée, le message de René Grousset – à savoir que ce qui unit les hommes, « de la Grèce à la Chine » (c’est le titre d’un de ses ouvrages), l’emporte et doit l’emporter sur ce qui les divise – est d’une singulière actualité.
Une vingtaine d’auteurs, universitaires admirateurs de Grousset français et étrangers, ont participé à cet ouvrage – le seul complet à ce jour sur l’illustre orientaliste languedocien – leurs contributions étant enrichies de photos des sites « groussetiens » et de documents écrits.
S’étant intéressées à Grousset dès le début de sa carrière, les éditions Geuthner se sont fait un point d’honneur de publier cet ouvrage, dirigé par trois professeurs de l’Université Paul-Valéry de Montpellier : Gérard Dédéyan, Isabelle Augé, Bernard Schouler.
Auteur : Collectif, DÉDÉYAN G., RIZK K.
L’ouvrage publié ici – Le comté de Tripoli, état multi-culturel et multiconfessionnel (1102-1289) – présente une double particularité : il est le premier à faire le point sur cet état (le seul, dans l’Orient latin, à être de langue d’oc et non de langue d’oil), marqué par la présence de seigneurs du Midi de la France, depuis le livre classique de Jean Richard, Le comté de Tripoli sous la dynastie toulousaine (1102-1187), dont l’auteur a bien voulu apporter sa précieuse contribution au présent ouvrage ; par ailleurs, quelques-uns des coauteurs enseignant au Liban (Université Saint-Esprit de Kaslik, Université libanaise) ou étant spécialistes de l’Orient médiéval, l’accent est fortement mis sur le rôle des autochtones (Maronites, Syriaques melkites et jacobites, entre autres).
Cette insistance correspond bien à la nature des relations intercommunautaires dans le comté de Tripoli, du moins jusqu’aux victoires de Saladin, sultan d’égypte et de Syrie à la fin du XIIe siècle : le comté est créé par Raymond IV de Saint-Gilles, comte de Toulouse et marquis de Provence, qui avait participé à la Reconquista ibérique et entretenait des esclaves musulmans sur ses terres provençales. Dans le comté, dont la confrontation avec Saladin reste discrète, les combattants pratiquent plutôt la razzia (complémentaire des échanges économiques entre Tripoli et les émirats arabes riverains de l’Oronte) que la guerre. à partir du milieu du XIIIe siècle, le comté de Tripoli, associé depuis le tournant du XIIe siècle à la principauté d’Antioche sous une même dynastie, normanno-poitevine, entre docilement dans le jeu politique d’un état presque indigène : le royaume d’Arménie cilicienne.
C’est en étant attentif à cet esprit d’ouverture intercommunautaire qu’ont travaillé les Professeurs Karam Rizk (Université Saint-Esprit de Kaslik) et Gérard Dédéyan (Université Paul Valéry - Montpellier III), coordonnateurs de l’ouvrage, spécialistes, l’un, de l’histoire du Liban, l’autre, de celle de l’Arménie.
Auteur : Collectif, AUGÉ Isabelle , DÉDÉYAN Gérard
En partie chassés de la Grande Arménie vers les rives de la Méditerranée orientale, à la suite de la conquête turque, les Arméniens, qu’ils se soient politiquement restructurés (principautés, puis royaume d’Arménie cilicienne, seigneuries arméniennes de l’Euphratèse) ou rassemblés en communautés (urbaines ou rurales), se trouvent, à partir de la fin du XIe siècle, en contact direct avec les peuples chrétiens du Proche-Orient : Grecs de Byzance, Syriaques de diverses confessions et, derniers venus, Francs de la Croisade. Dès lors, des contacts continuels ont lieu entre les chefs de l’Église arménienne et les Latins, alors que les discussions, déjà nombreuses dans le passé, continuent avec les Grecs, mais aussi les représentants d’autres Églises orientales (jacobite, géorgienne) ; dans ce contexte, la chrétienté arménienne cherche à maintenir son identité tout en s’adaptant aux conditions du temps, c’est-à-dire d’abord à un passage de l’hégémonie byzantine à celle de l’Occident latin, puis à la montée des puissances musulmanes (Turcs saldjoûkides, Ayyoûbides, enfin Mamelouks).
Quelques points forts ressortent : l’esprit d’ouverture exceptionnel des catholicos-patriarches de la lignée des Pahlawouni, l’importance des contacts culturels (nombreuses traductions de textes, du latin, du grec, voire du syriaque vers l’arménien, et inversement), les influences réciproques, par exemple dans le cas de l’art de la miniature.
Le Congrès international « L’Église arménienne entre Grecs et Latins (fin XIe-milieu XVe siècle) » (Montpellier-12 et 13 juin 2007) a réuni une vingtaine de participants, dont quatre venus de la République d’Arménie. Les textes présentés ici abordent l’ensemble des questions évoquées plus haut, en favorisant l’approche comparatiste. Ils enrichissent ainsi l’histoire des relations interecclésiales dans l’aire proche-orientale et caucasienne.