Vieilles nations et jeunes États, indépendants depuis 1991, à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique, l’Arménie et la Géorgie sont marquées par leur précoce conversion au christianisme, au début du ive siècle, et l’utilisation, au début du ve siècle, par chacun de ces peuples, d’un alphabet spécifique, permettant la traduction de la Bible et favorisant la naissance d’une littérature nationale – historique et hagiographique. Il s’ensuit, pour les Arméniens et les Géorgiens, une lutte multiséculaire pour la défense d’une identité chrétienne périodiquement menacée, en raison d’une périlleuse situation géopolitique au carrefour des Empires. Arc-boutées sur leurs montagnes du Caucase du Sud, ces deux chrétientés de frontière, aux références doctrinales différenciées, doivent successivement faire face, à l’ouest à l’Empire byzantin, en partie supplanté, à partir du xie siècle, par l’Empire turc seldjoukide, puis ottoman (à la fin duquel est perpétré le génocide des Arméniens), au sud-est au royaume de Perse, mazdéen, puis, chiite, avec la longue parenthèse – du viie au xviie siècle – de divers empires sunnites, les Arméniens étant placés en première ligne. Au nord, la progression des Russes dans le Caucase, à partir du xviiie siècle, est perçue plus positivement par les Arméniens – dont le royaume reconstitué en Cilicie (1073-1375), au voisinage des États croisés, n’a été relayé, après sa chute (1375), que par quelques principautés autonomes – que par les Géorgiens, qui ont pu maintenir leur indépendance jusqu’au début du xixe siècle.
Les contacts politiques et culturels avec l’Europe occidentale, pour les Arméniens, mais pour les Géorgiens également, ont contribué à façonner l’identité des uns et des autres, comme l’attestent les missions emblématiques de deux princes devenus moines : l’Arménien Het‘um/ Hayton auprès du pape Clément vii à Poitiers, au début du xive siècle ; le Géorgien Sulxan-Saba Orbeliani auprès du pape Clément XI et de Louis XIV, au début du xviiie siècle. La Russie orthodoxe, qui apparaît, au tournant du xviiie siècle, comme le seul Empire en mesure de soutenir les chrétiens du Caucase, accueille à son tour plusieurs ambassades arméniennes et géorgiennes. L’Arménie et la Géorgie – ces deux pays « cousins » –, réapparus dans le paysage politique il y a un quart de siècle, doivent pouvoir assumer pleinement leur mission historique de pont entre l’Europe et l’Asie, à l’heure où ces continents se heurtent si violemment parfois. Ayant déjà publié plusieurs livres voués spécifiquement à l’Arménie, les Éditions Geuthner sont heureuses d’accueillir un ouvrage dû à la collaboration de spécialistes reconnus, et consacré conjointement à l’Arménie et à la Géorgie, pays dans lesquels se sont formées, depuis près de trois millénaires, des identités à la fois proches et différenciées.