Le ghunghat est une pratique du voile particulière à l’Inde du Nord. Il a pour singularité d’être non-confessionnel et peut être pratiqué par des femmes de toutes confessions religieuses – hindoues, musulmanes ou sikhes – mais pas par toutes les femmes. Il consiste, à baisser sur son visage, le voile qu’elle porte sur la tête devant certains individus parmi ses affins, mais jamais devant ses consanguins. Il est observé de façon inégale en fonction des castes, des classes, du niveau d’éducation, des lieux de résidence dans une grande partie de l’Inde du Nord, hormis au Pendjab, d’où il a disparu il y a une quinzaine d’années. Il renseigne donc sur la relation qu’une femme entretient avec son entourage.
Sa manipulation donne à voir l’organisation sociale et familiale spécifique à l’Inde du nord : mariage arrangé, résidence patrilocale en famille élargie, antagonisme et asymétrie de statuts entre les affins et les consanguins d’une femme, rapports hiérarchiques. Extension de son corps, sa gestuelle exprime les représentations autour du corps, l’esthétique et les rapports de genre. Le voile apparaît comme un « fait social total », révélant les rapports familiaux et sociaux en même temps que les représentations du corps de la femme ; il s’insère dans une pratique de couverture et d’enveloppement des corps et des objets qui renvoie au sacré. Une approche ethnologique et anthropologique du ghunghat permet de créer de nouvelles grilles de lecture des problématiques autour du voile dans d’autres espaces, en particulier en France, et ce dans une perspective comparative.
Laurence Lécuyer est anthropologue. Elle réalise, depuis plus de vingt ans, des séjours en Inde. Elle enseigne l’anthropologie et les sciences sociales à l’Inalco (Institut National des Langues et Civilisations Orientales), au département Inde-Asie du Sud-Himalaya.
Chercheuse à l’ANR LIMINAL, traitant des problématiques de l’exil, de ses langues et de ses intraduisibles, tant linguistiques que culturels, sa thèse d’anthropologie sociale et culturelle traitait du ghunghat, un voile social et non confessionnel de l’Inde du Nord. Elle a participé aux travaux de Michel Agier sur l’hospitalité. Elle commence de nouvelles recherches sur le statut social et spirituel des joueurs de dhôl, une percussion spécifique à la région du Pendjab, au Pakistan et en Inde, ainsi que sur les relations étroites entre les Sikhs et les Soufis pendant la constitution du Sikhisme comme forme religieuse.