Auteur : Collectif, FIORI Emiliano, HUGONNARD-ROCHE Henri
Cette série est destinée à regrouper des études thématiques faisant le
point sur différents aspects de l’histoire ou de la culture syriaques,
celles des communautés chrétiennes dont la langue de culture est le
syriaque (maronites, syriaques catholiques et orthodoxes, assyro-
chaldéens, communautés du Proche-Orient et de l’Inde...).
Cible de jugements malveillants pendant un siècle, la philosophie en syriaque a récemment été l’objet d’un renouveau d’intérêt qui en a fait l’un des sujets les plus débattus dans les études syriaques. Les Syriaques ont été regardés dans le meilleur des cas comme de simples transmetteurs aux musulmans de la philosophie grecque, incapables d’une pensée philosophique originale. Si leur rôle crucial de vecteurs culturels n’est pas en question, ce volume se propose pourtant de montrer aussi la spécificité des formes que la philosophie grecque a revêtues en monde syriaque au long d’un millénaire, du iie au xiiie siècle.
Dès le début, la sélection des thèmes et textes philosophiques par les Syriaques témoigne d’une continuité avec les courants contemporains de l’Empire romain et d’une participation active aux débats qui y avaient cours. Un auteur syriaque comme Bardesane pouvait s’insérer avec originalité dans les controverses du monde impérial sur le déterminisme et la providence. La traduction de textes grecs d’éthique et l’utilisation de textes de sagesse attribués aux philosophes grecs attestent un intérêt pour la philosophie comme « exercice spirituel », partagé par les auteurs chrétiens de langue grecque et de langue syriaque, qui dans les mêmes années s’interrogeaient sur la valeur de la paideia hellénique pour l’éducation du chrétien. On pourrait donc parler pour ces premiers siècles d’une philosophie chrétienne gréco-syriaque.
À partir du vie siècle, surtout par l’intermédiaire des miaphysites, la logique aristotélicienne pénètre en monde syriaque. La figure clé pour ce passage est Sergius de Rēš‘aynā (m. 536), et encore une fois la continuité avec le monde grec marque cette entreprise : les commentaires aux œuvres logiques d’Aristote écrits par Sergius et ses successeurs, en particulier au monastère de Qennešre, reprennent la structure des commentaires grecs produits à Alexandrie dans l’Antiquité tardive. Dès le viiie siècle on assiste aussi au développement de la logique parmi les élites ecclésiastiques syro-orientales.
L’essor de la falsafa, la philosophie d’empreinte grecque en monde musulman, produit une rupture de cette continuité gréco-syriaque. Les Syriaques, décisifs dans la transmission de la philosophie à l’Islam, ressentent de plus en plus l’influence de la falsafa. À la fin du premier millénaire, des auteurs chrétiens de culture syriaque écrivent des ouvrages philosophiques en arabe et participent à la phase formative de la falsafa ; au début du deuxième millénaire paraissent des ouvrages philosophiques qui, écrits en syriaque, reflètent les structures conceptuelles de la falsafa. C’est la naissance d’une philosophie syro-arabe, qui culmine dans l’œuvre de Barhebraeus (xiiie siècle).
Le volume s’enrichit de deux contributions bibliographiques qui fourniront au lecteur un panorama exhaustif des sources et des études qui ont été consacrées à la philosophie en syriaque.