Bien que le Coran manifeste de l’hostilité envers les poètes (Les Poètes, 26, 224-226 : Ne vois-tu pas qu’en chaque vallée ils divaguent et disent ce qu’ils ne font point), cette hostilité concerne le « fond » et non la « forme » et une échappatoire est offerte aux poètes qui se rallient à la foi : (Les Poètes, 26, 227) Exception faite de ceux qui ont cru, ont accompli des œuvres pies, ont beaucoup invoqué Allāh et qui bénéficient de notre aide après avoir été traités injustement. En réalité, le Coran et la poésie arabe recourent à la même combinatoire métrique, la poésie en faisant un usage contraint et le Coran un usage libre, les deux recourant à des stratégies différentes.
Dans le Coran, la première de ces stratégies, intitulée « Le panachage métrique » est une technique commune à la poésie libre moderne et au Coran, laquelle consiste à mélanger librement des pieds pairs et impairs alors que dans la poésie ancienne ce mélange est strictement contrôlé.
La deuxième est intitulée « Le patchwork métrique ». Il s’agit de procéder à un assemblage de figures métriques disparates, incluant pêle-mêle des mètres à watid initial, médian ou final. Ces figures peuvent correspondre à un hémistiche de vers classique ou inclure un pied ou deux de plus dans les limites d’un verset.
La troisième intitulée « L’enchevêtrement métrique » est un phénomène analogue, mais dans sa version libre, les tronçons métriques pouvant apparaître au début, à la fin ou dans le cours des versets, la disposition en versets masquant une métrique largement régulière. Quelques artifices comme les syllabes orphelines initiales, médianes et finales, contribuent à occulter ces structures métriques et à les lisser pour les faire passer pour de la prose, mais elles ne sauraient échapper au regard du lecteur perspicace familiarisé avec la métrique de la poésie arabe. Ainsi, l’étude métrique purement formelle, met en évidence la relation entre poésie préislamique, Coran et poésie moderne, dévoilant un des secrets de la composition de ce livre.
Georges Bohas, membre correspondant de l’académie de langue arabe de Damas, a soutenu en 1975 une thèse en linguistique sur la métrique de la poésie arabe classique et moderne. Ses travaux ont radicalement simplifié et rénové l’étude et l’enseignement de cette science. En 2007 il a publié un article sur la métrique de la sourate al-Raḥmān et depuis il n’a cessé d’approfondir la relation entre la métrique arabe et le Coran. Une contribution importante est déjà parue dans l’ouvrage qu’il a publié en collaboration avec G. Roquet : Une lecture laïque du Coran (2018).