La situation de la langue turque en Tunisie a été dans son ensemble fonction de l’interaction entre trois grands acteurs politiques : la Sublime Porte, la France et les autorités locales. La Sublime Porte, loin de souscrire à une politique de turquisation, s’est contentée en tant que puissance suzeraine d’imposer l’usage de la langue turque dans la rédaction des traités que la régence devait conclure avec les puissances européennes. Après la conquête d’Alger, la France parvient à modifier le protocole diplomatique et interdit au Bey de rédiger désormais sa propre copie en turc. Implantée en Tunisie un demi-siècle plus tard, elle parvient également à bannir les cours de turc de l’enseignement sadikien. Quant aux autorités locales, elles n’avaient, jusqu’à la deuxième décennie du dix-huitième siècle, porté d’intérêt à cette langue que dans la mesure où c’était celle des expatriés turcs venus pour la plupart servir dans la milice des janissaires. Les usages postérieurs s’inscrivent uniquement dans le souci de consolider les rapports avec la Sublime Porte engagée alors autant que Tunis dans des réformes institutionnelles de grande envergure.
Mohamed-Fadhel Bechraoui est spécialiste d’histoire et d’épistémologie des sciences du langage. Ses travaux portent sur l’analyse métathéorique des modèles syntaxiques, sur les grammaires françaises écrites à l’usage des Arabes, des Turcs et des Persans, ainsi que sur le contact des langues en Tunisie. II envisage de publier sous peu une traduction annotée de la grammaire de Port-Royal.