Prix Diane Potier-Boès 2013
Sous l’impulsion de la Nahda et de l’expansion scolaire du français, une littérature romanesque francophone apparaît au début du XXe siècle au Liban et en Égypte lorsque s’affirment les consciences nationales : les identités collectives prennent forme dans des récits qui construisent les imaginaires nationaux en fixant de grands mythes et en débattant des valeurs sociales nouvelles.
Ces premiers romans héritent d’une part de la littérature arabe classique constituée en patrimoine culturel national, d’autre part de la littérature française qui fournit de grands modèles esthétiques - roman historique, réaliste et naturaliste - mais aussi des représentations du pays - littérature de voyage, littérature coloniale. Au « Levant », le français est une alterlangue – autre langue possible –, mais les romans sont plus nettement marqués par le contact des langues et des cultures en Égypte, par les normes du français scolaire au Liban. Éditées à Paris, les œuvres sont engagées dans des circuits de reconnaissance différents : les romanciers du Liban sont accueillis par les cercles nationalistes barrésiens, les romanciers d’Égypte par les internationalistes pacifistes et la revue Europe. Sur le plan local, la littérature francophone est intégrée à la téléologie nationale libanaise, car le bilinguisme est impliqué par la vocation de carrefour imaginée pour le Liban par ses premières élites nationales. En revanche, malgré une dynamique bilingue remarquable dans l’entre-deux-guerres, l’espace littéraire égyptien se fracture au milieu des années 1930 lorsque les écrivains francophones s’affranchissent des thèmes purement nationaux.
Agrégée de Lettres modernes et docteur en littérature française de l’université de Paris III-Sorbonne nouvelle, Caroline Hervé-Montel a vécu à Istanbul, Alexandrie et Beyrouth où elle enseigne actuellement dans un établissement de la Mission laïque française. Ses recherches portent sur les enjeux de la migration et la dynamique des espaces littéraires en relation avec les contacts de langues et de cultures, en particulier dans l’aire culturelle du Machrek.