Ce livre a de quoi surprendre. Son objet, la monnaie — plus précisément les inscriptions figurant sur des dinars et des dirhams émis en Syrie peu avant l’an 700 — ne manquera pas de dérouter les lecteurs familiers des oeuvres de Manar Hammad, pionnier de la sémiotique de l’espace et sémioticien archéologue. Mais ils retrouveront son esprit de méthode, sa rigueur analytique, sa passion d’expliquer. Ce livre, construit comme un théorème, administre une démonstration de part en part impeccable. Les formules extraites du Coran qu’on lit sur ces pièces sont incomplètes.
Pourquoi ? La résolution sémiotique de cette énigme a la même élégance que la solution inventée il y a treize siècles par les califes de Damas face au dilemme théologico-économique (en forme de double bind) qui mettait en conflit statut religieux et fonction libératoire de la monnaie. Il s’agit de bout en bout de rendre raison d’une singularité présente sous nos yeux, exigence qui relève autant du postulat heuristique que du pari, puisque la satisfaire présuppose que toute chose a une raison d’être, et qu’à condition de savoir où et comment chercher, cette raison est accessible. Or, pour rendre compte de la monnaie épigraphique, il ne fallait pas moins que la reconstruction d’un monde (société, culture, économie, religion).
Du coup, la numismatique s’évade des cabinets de collectionneurs et nous transporte au coeur de la vie sociale d’un autre temps. Pratiquée de la sorte, honorant ses principes heuristiques originels, la sémiotique montre qu’elle sert à quelque chose !
Eric Landowski